Les habitudes alimentaires disent beaucoup de l’évolution des sociétés. Elles peuvent aussi dire beaucoup de l’évolution. De l’évolution en elle-même. L’évolution, c’est une ligne qui monte sous la forme d’une succession d’étapes. Au fond, on se fait des représentations fausses du véritable caractère de l'évolution, de sa portée, on l'associe à la progression alors qu'elle n'est rien d'autre que le développement de la catastrophe. Le concept de transformation reste le concept de sa motricité, ce concept est déjà ancien. Il faut à nouveau le réfléchir.
Les produits transformés appartiennent aux usages individuels et sociaux en tant que produits. En tant que processus de transformation ils s’intègrent dans la course sidérale du monde. De fait, et par implication, ces produits font partie du monde. Savoir les lire est déjà un peu savoir lire le processus du monde. Mais, pour ce faire il faut connaître la clef de leur trajectoire.
Les objets culturels sont des produits transformés. Les objets d’arts le sont aussi. L’ars est même le grand domaine des produits transformés. Là où la nature et la culture sont réunies dans un processus devenu chose parce qu'il n'y a jamais rien eu de si naturel qu'un objet d'art ni de si transformé, avec patience, que la nature.
L'essentielle compréhension de cette réalité est digne uniquement des esprits nobles. Si la connaissance du vrai est de la plus haute importance et s’il est vrai que la vérité possède des degrés d’intérêts, la compréhension de la pratique naturelle de l’homme, la création, est de la plus haute importance parmi les choses de haute importance. Voilà ce que nous transmet la plus haute tradition.
Le jambon cuit est un produit transformé. Sa simplicité ne doit pas tromper l’observateur. La loi qui a dirigé sa production est une loi qui dirige n’importe quel produit transformé. Voici pourquoi son analyse rigoureuse ouvre l’intellect au sens des produits culturels.
Si l’on s’intéresse aux produits culturels, pourquoi ne pas analyser une peinture ou une pièce de théâtre ? C’est simple, le jambon cuit est un objet absolu. Sa teneur tient à l’évidence de la triade secrète qui le structure comme destinée culturelle. C'est la teneur de la triade de ses trois propriétés essentielles : sa couleur ROSE, la prégnance de l’EAU dans ses tissus, sa forme de TRANCHE. Et cette triade n'est autre que la triade secrète de tous les produits culturels dont nous héritons actuellement, car ils ne participent à nulle autre histoire qu'à la simple histoire du sang.
Et c’est depuis cette triade secrète que, contrairement à de nombreux produits transformés, le jambon cuit possède une structuration codée. Chacune de ses propriétés écrit déjà un peu les deux autres. Sa triade fonctionne à plein régime, aucune école de charcuterie, aussi inexpérimentée soit-elle, ne saurait contredire ce point.
L’apparition phénoménale au monde du jambon cuit est scélérate. Il incarne la métaphysique de l’événement dans sa simple brutalité. Son geste le plus efficace est celui du détournement et de la violence. Voilà pourquoi il nous démystifie l’évolution. Il suffit de regarder comment sa course dans le monde est franche, comment sa forme est massive et évidente, comment sa détermination est serrée. Il trace, telle une diagonale de l’histoire, dans l’histoire. Contrairement à de nombreux objets culturels trop bien formés, trop équilibrés ou trop nets, le jambon cuit est une exagération extra-phénoménale. Il s’extrude de son univers, et ceci se réalise tandis qu’il coule de toute part. Il est une abondance. C’est justement dans cette déperdition que le jambon cuit, sous son évidente franchise, dissimule un secret simple dont la clef, sous sa simplicité effarante, introduit à notre compréhension qui est compréhension de l’ars.
La compréhension dont a besoin le jambon cuit est une compréhension que l’homme offre à l’homme. La clef qu’il faut travailler est plus que symbolique. Son efficacité provient du réel et y retourne. C’est sa seule mise en œuvre qui donnera au lecteur qui voudra bien suivre sa trajectoire la compréhension de tous les produits transformés, et de lui-même.