Le rose est une couleur d’espoir et de fraîcheur. Rose est la couleur des joues des blancs lorsqu’ils sont émus ou lorsqu’ils ont fait un effort physique. C’est une couleur d’énergie et de puissance. Le rose est érotique, le rose est une chair gonflée de joie par un afflux sanguin presque sauvage.

Le jambon cuit a pour qualité intrinsèque la couleur rose. Le rose est communément la couleur du jambon cuit . Le jambon sec est rouge-marron, le rosbif peut être gris, le jambon cuit avec sa chair tendre et humide doit être rose. Est-ce parce que le rose est associé au cochon et que le jambon est, du cochon, la fesse, c'est-à-dire, ce qui est par excellence pour nos sociétés devenues sociétés pornographiques ? Est-ce parce qu’à un produit frais est opposée la couleur grisâtre du temps qui passe ? Pourquoi le grisâtre du jambon cuit est-il associé à sa pourriture alors qu'il n'est qu'oxygénation ? Parce que le rose serait celui des séries télévisées, des Trois Petits Cochons à Babe, le cochon devenu berger en passant par Le Muppet Show ? En vérité, il est surtout le résultat de la combinaison du sang et de la saumure. Cette combinaison qui opère à travers l’, évidemment. La couleur de la viande varie aussi beaucoup en fonction du stress du cochon avant qu’il ne soit abattu. Son sang sera soit trop acide et sa viande sera pisseuse et sombre, soit il sera trop basique et sa viande sera pâle et flasque. Elle dépend aussi de la rapidité de fabrication du jambon cuit. Les temps de cuisson, de refroidissement et de conservation ne doivent jamais être négligés. Tout comme ses degrés d’oxygénation et la quantité des sels apportés à la saumure. Le dosage juste fait l’objet de normes qui doivent être transmises à bon escient.

La couleur rose est la trace de la transformation la plus manifeste du jambon cuit. Un souvenir du sang est directement consommé dans la viande. Le sang qui coule et se répand amadoue le consommateur de viande qui récupère là les délices d’une barbarie qu’il n’a jamais oubliée et qui n’a jamais disparu. Le jambon cuit, ce jambon blanc qui est en fait rose, mais qui pourrait aussi être gris si on ne le mélangeait pas avec du salpêtre, c’est-à-dire avec de la poudre à canon, se mange avec les doigts, roulé sur lui-même. Il est marqué dans un lien indénouable avec toutes les industries de la mort. Sa couleur est une variation de la couleur du sang. Avec sa couleur réapparaissent tous les outils de l’abattoir enfouis dans le processus, de la chaîne de fabrication à la vente en supermarché. Le rose est analogue à la des lames aiguisées. Le rose pourrait être l’antithèse parfaite de l’industrie agroalimentaire alors qu’il en est le résultat parfait.

Tout comme le sourire du clown Ronald McDonald est le sourire de l’obésité, des sauces ignobles et de la corruption des maires qui acceptent ses fast-foods sur leurs ronds-points. Il y a par exemple plus lourd de viande dans le seul rayon de charcuterie d'un HyperMarché qu’il n’y en a dans un seul porc et il serait très instructif de reconstituer un cochon à partir de cette quantité de jambon cuit. Le rose est le processus et le résultat de la transformation de cette viande, il est son devenir total.

En ceci le rose n’est pas une recette, même s’il provient d’une recette, il est la qualité fondamentale du jambon cuit, son être transformé. Il n’est pas une recette, la recette par exemple est d’ajouter de la couenne dans le fond du moule pour que la diffusion des graisses et des collagènes permette aux chairs en lambeau, juste sorties de la coupe, de se ressouder. Le rose c’est le secret de la recette que tout le monde se dispute tout en s’asseyant dessus parce que tout le monde la possède déjà sans pouvoir la voir. C’est le contemporain. C’est par son intermédiaire insigne que nous nous introduisons dans le contemporain.

Sa couleur est relativement saine éthiquement. En comparaison, les veaux doivent être égorgés sans être étourdis et doivent être anémiés en fer afin que le consommateur ait le droit à une viande blanche. En comparaison, donc, le rose est éthique. C'est la couleur qui en décide. Le rose est éthique dans les rapports de l’homme avec l’animal. L’animal ne subit rien qui donne au jambon ce rose. Sauf moins de stress. Dans le processus, donc, il gagne même en bien-être.

Le rose est produit par l’ajout de nitrate de sodium (E252) dans la saumure. Le nitrate produit par réaction des nitrites. Ces nitrites, sous la forme de sels nitrités, peuvent aussi bien être directement ajoutés à la saumure comme nitrite de sodium (E250) à des fins d’accélération. Ces nitrites sont la cause principale des cancers colorectaux. Tout le monde est au courant depuis un siècle au minimum, mais tout le monde n’est pas d’accord. Les industriels se défendent de combattre le botulisme avec les sels nitrités et, même si personne n’y croit totalement, ils créent un doute. Ce doute a un pouvoir de dispersion avant l’interdiction définitive des nitrites. Ils combattent en réalité cette couleur grise qui déprimerait leur marché. Le secret charcutier du jambon cuit est bien sa couleur provenant du pouvoir de captation des sels minéraux. Sa qualité vient des puissances minérales. Comment en serait-il autrement pour des gens qui mettent une femme souriante sur la photographie introduisant un article sur les ANTIBIOTICS ?

Le rose est créé par l’immixtion plus ou moins directe des nitrites dans la saumure. Grâce à l’ ces nitrites iront se mélanger avec les molécules du jambon. Piqués ou injectés à la veine, les nitrites ont toujours été considérés comme des poisons. En 1899, Haldane déjà l’écrivait lorsqu’il isolait pour la première fois leur effet, « Nitrites are somewhat actively poisonous », Upton Sinclair écrit ceci aussi, avec évidence, que la couleur des charcuteries s’obtient par « l’addition de produits chimiques ».

C’est ce que nous disions, le rose sert de verre grossissant, c’est l’expression parfaite de la transformation du jambon cuit. C’est le geste d’adjonction de l’homme. Rose est sa souveraineté. C’est pour cette raison que ce n’est autre que la couleur des joues des employés le matin dans le métro. Après ils deviennent gris. Le jambon cuit est l’image parfaite de la culture, en voici encore la preuve.

Le rose est le signe chimique de l’extrudassions de l’existence. Les jambons cuits sont des morceaux de bravoure culinaire. Ils viennent gonfler l’existence comme leur mastication gonfle les joues. En infra-vision on remarque facilement que tout se colore de rose, la vie devient rose comme les peaux blanches des mangeurs de charcuterie. Le rose est presque la couleur du bonheur.