Le jambon cuit comme développement conceptuel

Thierry Laugier, Évaluation de la qualité des tranches de jambon cuit par vision numérique, Classification automatique des tranches par logique floue, Mémoire présenté en vue d’obtenir le Diplôme d’ingénieur CNAM en informatique, soutenu le 19 décembre 2000

 

 

Un pain de jambon est façonné puis découpé de manière à produire des tranches uniformes. Voici le principe de base de l’industrialisation de la consommation du jambon cuit. Le tranchage du jambon cuit est une opération qui a pour but dernier de proposer au consommateur des tranches fines, fraîches, disponibles pour être mises dans un sandwich ou être consommées telles quelles, avec les doigts ou avec une fourchette. Les industriels s’efforcent de proposer des produits standards présentant une régularité qui puisse offrir au consommateur une certitude de choix. La qualité de vente dépend de cette régularité, l’individu doit savoir ce qu’il cherche. L’homme moderne n’erre pas.

Thierry Laugier présente un mémoire pour obtenir un diplôme d’ingénieur du CNAM. Son but est de perfectionner une machine qui permette de visionner rapidement un grand nombre de tranches de jambon (500 à la minute) afin de les trier selon des critères allant dans l’intérêt du plus grand nombre de personnes possible. Il construit une machine sociale.

L’industrie agroalimentaire exige des produits de « haute qualité, uniformes, standards et constants ». La seule difficulté à laquelle l’auteur ne s’affronte pas est la variabilité biologique, les difficultés auxquelles il fait face quant à elles proviennent des aléas de la production. Sa machine est une étape dans la production du jambon cuit et donc, par extension, dans un schéma de transformation, large, allant de l’insémination artificielle au sandwich.

T Laugier  synoptique du syst de vision dans le process de tranchage p23
Schéma de l'apparition du jambon cuit au monde

 

 

 

Pour être clair, la norme à laquelle la machine répond et selon laquelle elle sélectionne les tranches de jambon cuit fait que les tranches de jambon cuit résultantes la portent et, surtout, l’expriment. Voici un point primordial. Différents philosophes New Age et globalisant, se plaisent à imaginer que tout renvoie à tout, d’une part, et, d’autre part, que le tout est supérieur à la somme de ses parties. Voici deux absurdités. Les premiers, un peu mystiques, se plaisent à affirmer que l’univers est lisible dans un grain de riz ou que chaque chose exprime en quelque sorte le grand tout. Les deuxièmes, davantage sociologues, prétendent qu’un certain nombre de lois, propres au regroupement de la multitude, peuvent être distinguées des règles attribuées à la singularité des parties de cette multitude.

C’est ici que la tranche de jambon cuit révèle l’être des produits transformés à travers sa triade. Le marxisme théorique a permis de concevoir les objets comme n’étant rien d’autre chose que les rapports de productions, dans toute leur violence, d'où ils procèdent et qui les maintiennent. Néanmoins, il n’a jamais pu donner une véritable autonomie aux êtres vivants selon leur composition In Extremis. C’est-à-dire, des vivants humains et des vivants non-humains, des vivants et des non-vivants. Voilà pourquoi s’il semble absurde de prétendre que la moindre chose de l’univers reflète le grand tout, il semble tout autant absurde de réduire l’apparition d’un objet au seul rapport de domination qui l’a précédé. Ce que le jambon cuit, par l’artifice de sa triade, c’est-à-dire l’artifice de catégories qui lui soient propres, dernières et acérées, nous montre c’est justement la présence en lui-même de tout ce qui l’a produit et de seulement ce qui l’a produit à toute échelle. Et de seulement ça, ni d’une loi supplémentaire, ni d’une loi englobante, sa propre loi de jambon cuit. Son orbe objective.

Le problème qui en résulte, et voici la méditation dans laquelle notre travail doit laisser le lecteur touché par ce savoir dernier, c’est la loi de la communication des parties. La machine de Thierry Laugier, comme vision numérique, est une pièce maîtresse de cette mise en relation.

 

La machine voit, trie et sélectionne. À la sortie de son tapis mécanique ressortent des tranches de jambon discernables, mais très fortement similaires.

La nature du calibrage est associée avec les habitudes de consommation : « les mutations progressives des habitudes des consommateurs. La vie dans les villes sur-urbanisées, l’évolution du monde du travail ont entraîné une déstructuration des repas et un changement dans les besoins alimentaires » (notons que ce type d’argument est récurent). Les consommateurs sont attentifs à l’hygiène des produits, ils souhaitent des produits à forte valeur ajoutée et font leurs courses dans les grandes surfaces. Ces trois paramètres génériques se croisent avec les arguments de la standardisation. Le travail de standardisation aura pour but le « repérage de défauts, de corps étrangers ou de produits non conformes » et que cette non-conformité sera celle de trous dans le jambon ou de couenne qui se détache.

« Le marché du jambon cuit supérieur commercialisé sous vide (ou sous gaz) en rayon libre-service est en pleine croissance »

Ces considérations génériques sont associées à un développement mathématique et technologique de pointe : visionnage numérique et méthodes de sélection raffinées : logique des ensembles flous synthétisés et réalisés par un programme informatique.

Les ensembles flous permettent une classification automatique par similarité. C’est une logique parfaite pour l’inférence de défauts en présence de connaissances incomplètes et pour l’optimisation des choix par la création de contraintes flexibles selon des critères multiples. La logique floue est une méthode pour choisir en fonction de connaissances incomplètes, vagues, incertaines ou inconsistances. Elle procède avec des faisceaux d’indices et permet des sélections graduelles. Elle place ses objets dans des classes d’objets selon un éventail de critères et selon des ensembles de paramètres programmés par un opérateur. Ses concepts principaux sont ceux de limite, d’inclusion, d’égalité, de complémentarité, d’union, d’intersection et de cardinalité.

Ces critères sont appliqués à la sélection des tranches de jambon.

La question difficile à laquelle répond l’auteur est celle de l’extraction de l'information. Ce n’est pas l’extraction du signe qui compte, puisque la visionneuse numérique pourrait le faire pour n’importe quel signe visible, par enregistrement, mais c’est le signe informatif. C’est le signe qui traduit que cette tranche de jambon est une tranche de jambon convenable pour son producteur et pour son consommateur. Cette traduction est possible grâce à un cahier des charges qui définit la nature des seuils, des indices et des éléments de mesure qui évalueront les pièces. Les machines ont la mémoire de ceux qui leur ont donné la vie.

Les tranches de jambon sont soumises à quelques critères spatiaux et qualitatifs : l’épaisseur de la couenne, la position de la couenne, la couleur, l’uniformité de sa surface (a-t-elle des trous?), et son persillage. Mais ces catégories semblent abstraites par rapport à la multiplicité des tranches de jambon cuit. La couenne, pour ne retenir qu’elle, peut avoir un nombre de positions allant de la pénétration dans la chair à son décollement total. C’est ici que s’introduit la logique floue et que s'amorce son mariage avec l’appareil de vision optique pour produire un système de vision : « Un système de vision peut être décrit comme un ensemble de processus agissant par transformations successives et progressives » : de l’image physique à sa saisie puis à sa traduction sémantique jusqu’à la prise de décision structurée. C'est cette puissance qui lui permet de saisir la multiplicité des variables des tranches de jambon cuit.

 

Système de vision

Le système de vision procède par quatre étapes qui sont autant de critères d’ordre pour qu’une tranche de jambon apparaisse telle qu’elle est dans une barquette. Il acquiert une image, il traite l’image pour améliorer sa qualité, il l’analyse pour extraire les informations et il l’interprète en fonction de ses objectifs. Par rapport au contrôle visuel il présente l’avantage d’éliminer les aléas de l’opérateur, sa fatigue visuelle et sa faiblesse face aux cadences.

Une tranche de jambon cuit risque quatre catégories de défauts : externes (position, asymétrie ou mauvaise position de la couenne), interne (tache de sang, trou), tenue (démantèlement de la tranche) et couleur.

Exemple de défaut de gras interne